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Tchad : une justice à deux vitesses pour les fauteurs de troubles

Au Tchad, les lois censées consolider l’Etat de droit et le vivre ensemble sont foulées au pied aussi bien par certains citoyens que les gouvernants sans que les contrevenants ne soient inquiétés. Comment peut-on expliquer un tel comportement ?

«Force est à la loi et à elle seule !» Propos du Président du Conseil Militaire de Transition (PCMT) face aux « pillages et incendies et aux troubles à l’ordre public enregistrés au cours de la marche du 14 mai de Wakit Tamma contre la politique française au Tchad. Il a tenu ces propos le 16 mai à l’occasion de la réunion mensuelle de sécurité destinée à évaluer la situation sécuritaire du pays. « Le gouvernement est fermement instruit (…) d’appliquer la loi dans toute sa rigueur. Je voudrais également appeler les magistrats et plus largement tous les acteurs de l’appareil judiciaire, à jouer (…) leur rôle face aux dérives de ceux qui piétinent les lois, sèment les troubles et attisent les conflits intercommunautaires », instruit le chef de l’Etat.

En effet, toute société se dote de lois qui régissent les comportements de ses membres. Autrement dit, la loi définit de manière impérative ce qui est interdit et ce qui est permis. Au sens large, la loi renferme des textes législatifs, des ordonnances, des décrets et arrêtés. Tous les citoyens, y compris les gouvernants, ont l’obligation de s’y soumettre sous peine de sanctions. Mais la loi ne peut s’imposer par sa seule autorité. Il faut la doter d’un bras armé, c’est-à-dire d’une force publique et d’un système judiciaire, à même d’arrêter et de condamner les contrevenants. En ce sens, Machiavel estime que la force armée est l’un des meilleurs moyens capables d’instaurer la loi. Cela veut dire que la loi n’a de force que si elle est soutenue par la force. C’est ainsi que suite à l’injonction du président de la République, cinq leaders de la société civile membres ou non de Wakit Tamma, ont été arrêtés par les forces de sécurité et écroués pour violation de la loi. Il s’agit notamment du décret n°193/INT-SUR du 6 novembre 1962 portant règlementation des manifestations sur la voie publique.

Les agents de sécurité au-dessus de la loi

La violation de la loi est l’une des principales causes d’ouverture du recours juridictionnel. Des actes de vandalisme perpétrés par les manifestants sont des infractions punies par la loi pénale. Et en matière de violation de la loi pénale, il appartient au Procureur de la République (PR) de poursuivre sans distinction les délinquants au nom de la société, puisqu’il doit garantir la sécurité des citoyens et de leurs biens. C’est de bon droit que le PR a ordonné l’arrestation de ces leaders pour qu’ils répondent de leurs actes devant les juridictions répressives.

Mais au cours de cette marche pacifique contre la France, les agents de l’ordre et de sécurité, lors de leur intervention pour faire respecter l’ordre public, ont commis des bavures à l’origine des dommages. A titre d’exemple, un élève s’est vu amputer la main droite. De pareils exemples d’exactions de forces de défense et de sécurité sont légion. Le 15 mai, l’intervention des forces de l’ordre suite à une altercation entre deux jeunes qui a dégénéré en bagarre, occasionnant 10 morts et plusieurs blessés, dont certains par balles à Danamadji. L’on a encore en mémoire des tueries de Sandana, d’Abéché, de Faya, du Salamat et celles de Kouri Bougoudi. Le bilan non officiel de ce dernier cas, fait état de plus de 200 personnes tuées et 300 autres blessées.

Même si le gouvernement « dément toute implication des  forces de défense et de sécurité « qui ne sont, en aucun cas, concernées par ces conflits qui n’opposent que des bandes d’orpailleurs entre elles », des agents de l’ordre et de sécurité présumés auteurs des dommages n’ont pas été poursuivis par la justice. Le PR n’a ouvert aucune enquête judiciaire contre ces délinquants afin qu’ils subissent la rigueur de la loi. Pourtant, l’article 7 de la Charte de Transition énonce clairement que « les Tchadiens de deux sexes ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans distinction de race, d’origine ou de religion ». Alors, comment peut-on expliquer cette politique de deux poids et deux mesures ?

L’application de la loi à la tête du client

Le premier facteur fondamental relève de la nomination aux postes de responsabilité très sensibles comme la sécurité publique et la justice. Selon un conseiller, membre du Conseil National de Transition (CNT), la principale cause de l’impunité dans notre pays, c’est le népotisme. « Vous nommez des gens, vos parents, d’une seule famille aux postes de commandement territorial ; prenons l’exemple d’une région, du gouverneur jusqu’au sous-préfet, c’est la même famille ; du commandant de la légion aux autres responsables de la sécurité publique, Agence Nationale de Sécurité (ANS), c’est les parents. En cas de bavures, ces agents se protègent mutuellement », expose-t-il à l’occasion des tueries de Sandana. La justice ne peut pas les poursuivre, parce qu’ils ont des accointances familiales avec les hautes autorités du pays. De plus, des agents nommés n’ont pas les compétences requises. Selon le rapport d’enquête parlementaire sur la gestion de l’administration territoriale de mai 2007, qui reste d’actualité, « il a été constaté que sur les 426 agents de commandement en fonction, seuls 12% étaient des professionnels ; les non professionnels représentaient 36% ; les militaires 26% ; les personnalités politiques 3% et les 23% étaient constitués de personnes sans référence professionnelle».

En vertu du Décret n°154/PR/MISD/2001 du 15 mars 2001 portant attribution des Chefs des Unités Administratives, les agents de commandement territorial sont placés sous le contrôle hiérarchique du gouvernement. A ce titre, les gouverneurs, les préfets, les sous-préfets sont les dépositaires des pouvoirs de la République. Ils veillent à l’ordre public et à la sécurité des personnes et des biens. Les forces chargées de la sécurité implantées dans leurs circonscriptions administratives relèvent de leur autorité. Ainsi, si dans leurs interventions, certains agents commettent des abus préjudiciables aux citoyens, le gouvernement a l’obligation de les arrêter, comme n’importe quel citoyen, pour être traduits devant la justice. Sinon, cet ordre donné au gouvernement de traquer désormais des fauteurs de troubles apparait comme une mesure discriminatoire.

Alphonse Dokalyo

 

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Alphonse DOKALYO

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