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Scrutin présidentiel 2016 : Le vin étant tiré, il faut le boire… sereinement

Après un processus électoral à rebondissements, le président  de la République sortant, Idriss Deby Itno, est déclaré réélu au premier tour avec un taux de 59,92% par le Conseil constitutionnel. L’opposition politique, après avoir rejeté avec véhémence ce verdict, semble se ranger. Devant un fait déjà accompli, comment peut-elle entrevoir l’avenir politique ?

Après une attente angoissante dans un climat sécuritaire lourd, le Conseil constitutionnel a proclamé, le 4 mai, près de quinze jours après les résultats provisoires, les résultats définitifs de l’élection présidentielle du 10 avril 2016. Sans suspense, Idriss Deby Itno, le candidat de l’alliance des 108 partis politiques de la majorité, arrive en tête avec un taux de 59,92%, déclassant Saleh Kebzabo, le leader de l’Union Nationale pour le Développement et le Renouveau, qui obtient 12, 77%. Le pronostic de la chronique d’une victoire annoncée s’est concrétisé. Quelques miettes de pourcentage sur les scores provisoires des candidats ont été nettoyées par ci, rajoutées par là, sans que le fond ne change pour autant. Baisse de rideau donc sur ce processus électoral qui a passionné beaucoup de Tchadiens de longs mois durant. Quelles leçons peut-on tirer de ce processus ?

La bourde collective de l’opposition

La requête collective introduite par les six partis menés par le chef de file de l’opposition, Saleh Kebzabo, a été jugée irrecevable par le Conseil constitutionnel au motif que ce mode de saisine n’est pas prévu par le code électoral. L’article 144 de la Loi n°036/PR/2015 du 25 août 2015 portant Code Électoral, traitant du contentieux électoral est assez clair : « Les candidats ont cinq (5) jours francs pour saisir le Conseil Constitutionnel à partir de la date de la proclamation provisoire des résultats. En cas de contestation, le Conseil Constitutionnel est tenu de statuer dans les quinze (15) jours suivant la proclamation provisoire. Sa décision emporte la proclamation définitive ou annulation de l’élection». L’équipe de Nagoum Yamassoum ne s’est pas donné de la peine pour examiner les revendications de l’opposition au fond.

Des candidats de l’opposition (Djimrangar Dadnadji, Saleh Kebzao et Mahamat Ahmat Al-Habo) lors d’une déclaration. (Arch. TC)

Ainsi, les multiples griefs et irrégularités relevés par l’opposition durant le scrutin, à savoir les vols des urnes, la non mise à disposition des représentants de l’opposition des procès-verbaux, les votes forcés des militaires, pour ne citer que ceux-là, sont passés par pertes et profits. Beaucoup de Tchadiens en sont encore à s’interroger sur cette légèreté dont ont fait preuve les requérants. Pour certains, ce n’est ni plus ni moins qu’une collusion entre ceux-ci et le Chef de l’Etat Idriss Déby Itno pour en récolter des dividendes dans les mois à venir. Bref une manière de casser du sucre sur le dos de la population. Commentant cet état de fait, un étudiant en Droit s’étonne que les états-majors des six candidats réunis, avec des forces et stratégies mutualisées ne se soient pas rendus compte, dès le départ, de l’irrecevabilité de leur saisine, au regard des dispositions du code électoral.

De plus, l’opposition n’a pas su communiquer efficacement avec sa base durant la période de contentieux électoral. Jusqu’au dernier moment, personne ne s’attendait à ce qu’une requête soit introduite au greffe du Conseil constitutionnel parce que les leaders de l’opposition ont annoncé sur les medias nationaux et internationaux que, ne disposant pas des moyens de preuve sciemment confisqués ou détruits par la machine au pouvoir, ils ne voudraient pas se faire ridiculiser en saisissant le Conseil Constitutionnel dont l’issue des délibérations est plus ou moins connue. C’est à la surprise de presque toute l’opinion nationale que l’on a appris qu’une requête collective a été introduite à quelques heures de la date butoir. Stratégie politique, nous dira-t-on. Si l’opinion était au courant de cette démarche dès le départ, n’aurait-elle pas permis d’éviter cette turpide collective ? Quoi qu’on en dise, le vin est tiré, il faut le boire. Sur le terrain politique, les erreurs se paient cash et l’opposition tchadienne vient de l’apprendre à ses dépens et d’en payer le prix fort. A elle d’en tirer les leçons pour l’avenir.

L’aspiration du peuple au changement

Comme deuxième leçon à apprendre, le scrutin présidentiel du 10 avril 2016, est révélateur de l’aspiration prononcée d’une bonne partie du peuple pour le changement après plus de 25 ans de pouvoir monocorde. Ceci s’explique par le fort engouement constaté lors des opérations de vote. Les scores de l’opposition dans beaucoup de circonscriptions en sont des indicateurs. Il est temps, pour elle, de ne pas trahir cette ferveur et cette adhésion, pour continuer à surfer sur cette vague, surtout que les autres consultations pointent à l’horizon. Prenant le contexte sociopolitique où le Mouvement Patriotique du Salut a géré le pays avec tout ce que l’opposition elle-même a relevé comme vieilles casseroles (corruption, gabegie, impunité, injustice sociale, recul démocratique…), il serait sage et prudent pour les ténors de l’opposition de faire preuve de constance dans leur lutte et leurs valeurs, en évitant d’entrer dans un gouvernement où le parti au pouvoir gardera une mainmise sur sa politique. Bien entendu, cela ne voudrait pas dire qu’elle devrait se mettre dans une posture de guéguerre permanente contre le pouvoir, mais plutôt de s’opposer de manière constructive, en étant une force de propositions. Ce serait aussi faire preuve de maturité politique. Le président Idriss Deby, ce fin animal politique, n’hésitera pas à les noyauter et à les humilier politiquement.

Pour tout observateur averti de la scène politique tchadienne, afin d’éviter des crises postélectorales aux issues incertaines, la communauté internationale ne raterait aucune occasion d’œuvrer pour la préservation de la paix nationale dans un contexte sous-régional marqué par une instabilité chronique (chaos libyen, exactions de Boko Haram dans le bassin du lac Tchad, situation relativement précaire en République centrafricaine…). Ainsi, mettra-t-elle à profit ses missions de bons offices pour amener l’opposition à laisser tomber le jusqu’au-boutisme et à composer avec le pouvoir. On s’acheminerait alors vers ce que l’on appelle classiquement un gouvernement de large ouverture ou de coalition. L’opposition se consolerait sans nul doute de quelques maroquins.

La non-violence contre la provocation

On se souvient de la Démocratie Consensuelle et Participative (DCP) qui a vu l’opposition composer avec la majorité après l’élection présidentielle de 1996. Beaucoup d’opposants qui ont goûté à cette expérience s’en mordent encore les doigts. Idriss Deby Itno en a été le grand vainqueur. Il n’a pas hésité à le rappeler durant sa campagne présidentielle que ceux qui prétendent le battre actuellement ont été ses ministres et plus proches collaborateurs. Il les a « utilisés », pour retenir cette formule restée vivace encore dans la mémoire collective, lors des campagnes présidentielles des années passées. D’une manière ou d’une autre, en prenant la décision d’intégrer un gouvernement d’union nationale, chacun doit se mettre en tête qu’il sera comptable de toute la gestion du pouvoir.

Un fait qui mérite d’être mis en exergue, c’est la maturité politique dont l’opposition a fait preuve durant cette période postélectorale assez tendue. Il a su déjà le démontrer à travers quelques gestes politiques assez forts. Au plus fort du risque d’explosion de la crise postélectorale à Moundou où l’électricité était dans l’air, les six ténors de l’opposition se sont réunis dans cette ville qualifiée de frondeuse pour envoyer à l’unisson un message de paix, d’unité nationale à ceux qui distillaient des nouvelles selon lesquelles elle serait en train de faire le lit à la division et à la haine entre les Tchadiens, notamment à propos de l’affaire des machettes saisies dans le Logone occidental. Comme un seul homme, ils ont fait passer ce message d’apaisement. L’initiative a été encore rééditée à Léré au lendemain des violentes manifestations des élèves. C’est aussi cela l’image que l’on attend d’une opposition véritable, républicaine, sachant rester sereine face aux manipulations politiciennes de tous bords, comme on en trouve un peu partout dans le monde.

Mbaïdedji Ndjénodji Frédéric

TC n°347/Mai 2016

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Par : Boutros

Par : Boutros

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