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Rapport de la Cndh: « le document n’est pas paraphé et ne contient pas un Pv attestant que c’est l’œuvre des commissaires» : Belngar Larmé Laguerre

Aussitôt publié, le rapport d’enquête de la Commission nationale des droits de l’homme (Cndh) sur les manifestations du 20 octobre dernier est rejeté par une partie des commissaires. Pour faire la lumière sur le problème, votre organe a échangé avec le rapporteur général de la Cndh Belngar Larmé Laguerre, l’un des huit signataires du communiqué de presse, contestant la procédure de publication de ce rapport. Entretien !

Les commissaires de la Cndh contestent, du moins dans la procédure, le rapport sur les événements du 20 octobre dernier?

Merci pour l’opportunité que Tchad & Culture nous donne pour nous exprimer sur ce conflit interne à la Commission nationale des droits de l’homme (Cndh). Je dis interne parce que c’est une question spécifiquement de procédure interne à la publication d’un rapport. Pour revenir un peu en arrière, il y a eu 5 sous-commissions d’enquête qui ont été mises en place avec des orientations précises. Ces sous-commissions ont travaillé sur le terrain en toute indépendance et toutes les données et les documentations sont transmises au rapporteur général qui a pris le soin de les compiler et recouper. Et à un moment donné, il faut revenir sur les commissaires pour qu’ils sachent ce qui avait été fait. Donc dans un premier temps, nous nous sommes retrouvés pour valider certaines informations mais beaucoup reste à faire puisque le rapport même n’est pas achevé : il fallait recouper les listes de ceux qui ont été arrêtés, les cas de disparus, les transférés ou déportés comme on le dit, le cas des gens qui seraient repêchés au fleuve. Donc, avec des recommandations, le travail était repris. Je vous informe que j’ai gérée seul les données, même le président n’était pas informé. En dehors de moi, personne ne savait ce qui ressort de la compilation. Il a fallu une première rencontre de validation pour que certains le sachent. Les informations ne sont pas exhaustives parce que nous continuons toujours par documenter. Dès que le travail a été fait, j’ai pris le soin de faire en version dure : une copie pour lui (Ndlr : le président de la Cndh Mahamat Nour Ibedou) et une autre pour moi. En plus des versions dures, je lui ai remis la version électronique, associée avec une demande de convocation pour une assemblée plénière, conformément à la loi 28 et au règlement intérieur de la Cndh qui dit que les « rapports de la commission nationale des droits de l’homme sont adoptés en plénière ».
Quand je lui ai remis le document, nous avons échangé autour de cela qu’il fallait convoquer la plénière en urgence comme on a trop de pression pour valider. Cette procédure est interne et conforme aux textes de base, fondant et organisant les attributions et fonctionnement de la Commission nationale des droits de l’homme. Dès que le président est entré en possession de ce draft, il s’est isolé avec deux membres de son cabinet avec des personnes extérieures qui venaient les samedis et dimanches. Ce qu’ils faisaient de ce rapport, nous ne le savons pas mais nous avons dit, quoi qu’ils fassent, nous allons nous retrouver en plénière et que s’il y a modifications et changements, nous aurons l’occasion d’en débattre. C’est comme ça que nous avons pris notre temps à observer. A notre grande surprise, nous avons eu notre premier signalement qui dit que les rapports d’enquête sont distribués dans les chancelleries en catimini une semaine avant. Nous n’avons pas de preuve mais ce sont des informations que nous avons et nous cherchons encore.
La deuxième semaine, ce sont les réseaux sociaux et la presse qui annoncent avant même que le président lui-même n’organise paradoxalement une conférence de presse pour divulguer le rapport. On a mis la charrue avant les bœufs. Est-ce qu’il y a des gens qui contestent des chiffres qui se trouvent dans le document ? Je ne vois pas de contestation parce que c’est un travail qui a été fait de manière commune et qu’à ce niveau on devrait se retrouver pour respecter les procédures. Le document qui circule n’est pas paraphé et ne contient pas un procès-verbal attestant que les commissaires sont vraiment d’accord et que c’est leur œuvre. Je mets quiconque au défi, qu’il me sorte un procès-verbal signé pour approuver ce rapport. Nous aimerions que ce rapport, attendu de tout le peuple tchadien voire la communauté internationale respecte toutes les règles de procédure pour que demain, il ne soit pas contredit. Mais tant que cette étape n’est pas achevée cela posera problème et nous posons problème parce que ce rapport n’est pas paraphé, ni validé par les 11 commissaires. Nous avons choisi des termes et concepts à utiliser pour éviter de tomber dans l’un ou dans l’autre camp.

Quels termes et concepts par exemple ?

Vous prenez par exemple le terme déporter. Le mot courant utilisé est déporter mais nous avons privilégié transférer. C’est un exemple parmi tant d’autres donc c’est ce travail qui avait été fait. C’est le travail des commissaires, personnes ne peut leur arracher la paternité. Il a chapeauté le travail mais ceux qui ont fait le terrain, ce sont les commissaires, qui ont travaillé nuit et jour.

Quand ont prend nuitamment les gens pour les envoyer quelque part. Cela n’est pas de la déportation ?

Là, c’est un autre débat dans lequel on ne peut pas entrer. C’est purement une démarche que nous jugeons impartiale. De l’un ou l’autre, nous supposons çà. Il revient au public d’apprécier. Mais le problème fondamental, c’est que nous ne sommes pas dans la logique de ternir l’image de qui que ce soit, mais nous demandons simplement le respect des procédures pour nous éviter des problèmes.

A votre avis, est-ce qu’il y a des choses qui ont été modifiées ou manipulées dans ce rapport d’enquête publié ?

Bien sûr !

Pouvez-vous être un peu explicite ?

Non, je ne peux pas entrer dans les détails. Il y a des modifications dans le rapport que je détiens en main et ce qu’il (Ndlr, le Président) a en sa possession mais je ne peux pas vous situer parce que si je le fais, j’entre dans un rapport qui n’a pas encore été débattu en plénière. Le jour où nous irons en plénière, nous allons vous faire ressortir ce que nous n’avons pas compris.

Mais le rapport se trouve déjà sur la toile ?

Nous ne nous reconnaissons pas dans ce rapport. Ce que vous avez vu sur la toile là, est-ce que vous avez vu ma signature dedans ? Je suis rédacteur et rapporteur général, la 2ème personnalité de l’institution.

Quel intérêt le président de la Cndh aura-t-il à manipuler ou modifier le contenu de ce rapport ?

Posez-lui donc la question. Jusque-là, je n’ai rien compris. Nous avons travaillé dans l’indépendance avec beaucoup de disponibilité. Il y a des choses à vérifier et compléter mais cela doit se faire en plénière.

Sur le rapport, le gouvernement parle de 73 morts, la Cndh  fait écho de plus de 128. Dites-nous, vous pensez que le nombre des morts sera en dessous ou au-dessus de ces deux chiffres ?

Le rapport n’est pas exhaustif puis qu’il y a des victimes qui ont peur de s’expliquer et nous n’avons pas des mesures de protection. Il y a des situations que nous avons recueillies comme des informations mais qui devraient être recoupées ou vérifiées. Aujourd’hui, on ne peut pas arrêter un chiffre net.
Les rapports, même dans les petites associations du quartier, avant d’être publiés passent à la plénière, combien de fois une institution comme la Commission nationale des droits de l’homme, et avec un sujet aussi délicat que les événements du 20 octobre. C’est un sabotage. De son propre chef, même si les textes n’ont pas prévu, est-ce qu’il (Ndlr : le président de la Cndh) a besoin de s’isoler pour le faire ? Il pouvait venir.

Votre dernier mot

Il faut que les gens ne partent pas très vite en besogne. Cela n’est pas bon, il ne faut pas qu’ils jugent très vite les autres, pour ce que eux-mêmes ne maîtrisent pas. Ce que nous entendons, c’est le factuel. Allons-y dans les analyses juridiques. Le fait que les gens sortent pour exprimer leur ras-le-bol par rapport au non-respect des engagements et qu’ils sont tombés sous les balles, c’est très grave. Même si c’est une seule personne. Ce n’est pas les chiffres 20 ou 30 personnes. C’est que ce qui a été posé n’est pas bon. Mais en voulant corriger cela, nous ne pouvons pas marcher sur les textes. Nous sommes une institution nationale des droits de l’homme mise en place sur les principes cardinaux qui sont l’indépendance, la transparence et la démocratie. Tant que ces trois conditions ne sont pas réunies, c’est n’est pas une Cndh.

Propos recueillis par Stanyslas Asnan

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Stanyslas ASNAN

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