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M. Djidda Oumar Mahamat, Président de la CNDH

« L’impunité accentue les violations des droits de l’homme au Tchad »

Instituée par la Constitution de la 4ième République comme organe consultatif, la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) a accusé plus d’un an de retard pour se mettre en place. M. Djidda Oumar Mahamat, président de la CNDH, dans une interview exclusive à la revue Tchad et Culture, donne tout d’abord les raisons de ce retard et annonce les grands défis de son institution dans un environnement particulier du Covid-19.

Tchad et Culture (TC) : La CNDH a tenu sa première session au début de février 2020, soit plus d’un an après la promulgation de la Constitution de la 4ième République qui l’a institué. Qu’est-ce qui explique ce retard ?

Djidda Oumar Mahamat (DOM) : Je remercie franchement la revue Tchad et Culture de sa démarche auprès de la CNDH pour mieux la faire connaître. Ceci étant, la mise en place de la CNDH a été tout un processus qui a commencé par l’adoption de la Loi n°28. Après cette adoption, il a été mis en place un comité ad hoc chargé de faire élire les membres de la commission conformément au principe de Paris. Ce principe met l’accent sur l’indépendance et l’autonomie de la CNDH. Le comité ad hoc a organisé les élections au sein de chaque entité appelée à siéger à la Commission : les associations de défense des l’Homme, les associations des femmes, les syndicats, les personnes handicapées, la presse, les avocats, etc. Cela a pris cinq mois. Ensuite, la loi exige que le chef de l’Etat prenne un décret pour mettre en place la commission. Cela a été fait et la première session a été convoquée en septembre 2019, conformément à l’article 48 de la Loi n°28 sur l’organisation et le fonctionnement de la CNDH. Nous nous sommes attelés à l’élaboration du règlement intérieur et du budget conformément à l’ordre du jour inscrit dans la convocation de la session. Ces textes sont par la suite envoyés à la Cour Suprême pour avis avant leur adoption. Tout compte fait, nous avons compté cinq autres mois avant d’aboutir à notre prestation de serment le 12 février et l’élection de notre bureau le 13 février. Donc, le retard accusé dans la mise en place de la CNDH est d’ordre légal.

TC : Vous avez commencé votre travail dans un contexte de dégradation généralisée des droits de l’homme (viols, assassinats crapuleux, enlèvements des défenseurs des droits de l’homme, violation des droits des consommateurs, restriction des libertés due à la pandémie de Covid-19, etc.). Que vous inspire ce contexte ?

DOM : Nous avons commencé notre mission dans un contexte très préoccupant par rapport au respect des droits humains. Il y a eu toute une série de violations des droits humains que vous avez énumérés. Malheureusement, les violations des droits de l’homme sont quotidiennes dans notre pays. Et c’est aussi une coïncidence que ces faits se soient produits au moment de notre installation. Trois femmes ont été tuées au moment de notre élection. Les auteurs doivent être jugés et sévèrement punis. Par ailleurs, l’irruption de la pandémie de Covid-19 a entrainé la prise par le gouvernement de certaines mesures de restrictions des libertés, dont celles de mouvement, de réunion, de culte, d’exercice de certains métiers comme l’interdiction d’ouverture des boutiques, bars, restaurants. Même le droit à l’instruction a été compromis à cause de la fermeture des établissements scolaires et universitaires. Il est cependant à déplorer que ces mesures sont prises sans conformité avec les exigences démocratiques et de l’Etat de droit. Nous aurions souhaité qu’elles soient encadrées par un texte de loi, conforme à notre Constitution.

TC : En prenant les rênes de la CNDH, quelles sont vos priorités ?

DOM : Nous avons des priorités dont la première est celle d’asseoir la CNDH. C’est une nouvelle institution qui doit bien s’implanter comme institution. La seconde est d’installer nos deux sous-commissions de promotion et de protection. Ces structures vont permettre à nos activités de prendre de l’envol. Notre troisième priorité est de parvenir à faire réduire au terme de notre mandat les violations des droits de l’homme, à défaut de les enrayer. Il est impossible d’éradiquer les violations des droits de l’homme, mais nous nous efforcerons avec les structures en charge de la sécurité et de la justice de réduire leurs fréquences. Cela se fera aussi avec le concours de toutes les plateformes de défense des droits de l’homme. C’est ce qui a motivé notre série de visites à ces organisations. C’est ensemble, avec les associations de défense des droits de l’homme et le gouvernement, que nous pourrons aboutir à un résultat satisfaisant. Au Tchad, ce qui accentue le phénomène, c’est l’impunité. Des violeurs des droits l’homme sont arrêtés, jugés et mis en prison. Mais quelques jours après, ils se retrouvent dans la rue pour commettre les mêmes forfaits. Pour nous, il s’agira de tout faire pour que les violeurs des droits de l’homme condamnés purgent leurs peines en prison, et que ceux qui doivent être jugés le soient le plus rapidement possible, etc. Nous avons mis en place l’observatoire des droits de l’Homme, dans un contexte dominé par des mesures de restrictions de libertés pour prévenir la pandémie de Covid-19. Mais dès cette mise en place, en l’espace d’une semaine, nous avons enregistré plus de cinquante plaintes contre le comportement des hommes en arme. Il y a eu même mort d’homme.

TC : Comment appréciez-vous justement le comportement des forces de l’ordre pendant cette période de restrictions ?

DOM : Les forces de l’ordre ne doivent pas se comporter en ennemies de la population, mais plutôt comme des éducateurs en cette période très difficile pour les populations. Il nous a été signalé même de fausses forces de l’ordre qui se sont constituées pour spolier la population. Celles-là, à moto, sillonnent l’intérieur des quartiers. Les forces de l’ordre ne doivent pas, au nom des horaires du couvre-feu, se mettre à tabasser les gens à tout vent, mais leur prodiguer des conseils. De plus, elles ne respectent pas elles-mêmes, par exemple, la mesure de distanciation sociale prise par les autorités. Pourquoi on interdit aux citoyens de se mettre seulement à quatre dans une voiture et les forces de l’ordre s’entassent par dizaine, sans masque, dans leurs voitures pour réprimer les gens ? Cela ne donne pas le bon exemple. Les agents des forces de l’ordre sont des gens qui ont aussi leurs familles. Ils peuvent se faire contaminer et contaminer à leur tour les membres de leurs familles. Cette défaillance des forces de l’ordre est également observée au niveau du corps médical qui manque de protection adéquate. Ces failles constituent des entorses graves à la lutte contre la pandémie que nous cherchons à contenir. C’est pourquoi, je demanderai au ministre de la Santé d’équiper convenablement ces deux entités en matériels de protection pour éviter de les exposer et d’exposer par voie de conséquence leurs familles et toute la société à la contamination au coronavirus.

TC : Le 17 avril dernier, le Procureur de la République a annoncé le suicide collectif de 44 prisonniers, membres présumés de la secte Boko-Haram capturés par l’armée tchadienne lors de l’opération « Colère de Boma ». Quel commentaire faites-vous de cette situation ?

DOM : La CNDH s’est autosaisie de l’affaire. En ma qualité de président de la CNDH, je n’ai pas de commentaire à faire tant que la commission d’enquête que nous avons diligentée n’a pas déposée son rapport. Nous allons publier les conclusions de cette enquête quand elle sera déposée. Mais d’ores et déjà, c’est une situation très grave de violation des droits de l’homme qui nous interpelle. Qu’elles soient terroristes ou non, ces victimes sont des prisonniers de guerre et doivent être traitées comme telles. Si on voulait les tuer, on allait le faire en brousse et personne n’en saura rien. Mais si elles ont été amenées pour être jugées, il faut bien faire la lumière sur ce qui a bien pu leur arriver.

TC : Vous démarrez votre travail dans un contexte particulièrement difficile sur le plan socio-économique. Quel slogan sera votre slogan de travail ?

DOM : « De grandes réalisations avec peu de moyens ! » C’est cela mon slogan. Nous n’aurons pas assez de moyens parce que les droits de l’homme sont les parents pauvres des politiques dans le monde. Et les humanitaires n’interviennent pas dans les droits de l’homme. Les droits de l’homme, c’est du social. C’est pourquoi, il ne faut pas compter sur de grands moyens pour réaliser ses rêves. Avec les faibles moyens dont disposons, nous avons ouvert l’enquête sur la mort des 44 prisonniers. C’est la première enquête ouverte sur un sujet très brûlant.

TC : Un mot de ce qui vous tient à cœur ?

DOM : Aujourd’hui, le Tchadien de manière générale ne connaît pas ses droits et devoirs. Nous allons nous y atteler. On ne sait pas si le civisme continue d’être enseigné à l’école ! Cela constitue le nœud du problème dans la situation des droits de l’homme dans notre pays.

 

Interview réalisée par Nestor H. Malo

TC n°387, mai 2020

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Par : Boutros

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