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Idriss Déby Itno face à la presse internationale : Décryptage des déclarations du chef de l’Etat tchadien

Dans l’interview qu’il a accordée aux médias internationaux le 24 juin 2017, le président de la République du Tchad Idriss Déby Itno a fait le tour d’horizon de la politique nationale et étrangère. Il a surpris plus d’un dans certains des propos qu’il a tenus.

De la quintessence de l’interview du Chef de l’Etat, nous retiendrons que Idriss Déby Itno a déploré le manque de soutien de la communauté internationale dans la lutte contre le terrorisme. Pourtant, son pays a payé le prix fort en vies humaines ainsi que plus de 300 milliards FCFA dépensées sur les comptes du Trésor public national. Il a brandi en conséquence la menace de retirer ses troupes d’ici peu si rien n’est fait. Il a déploré, par ailleurs, la transaction que le Tchad a faite avec le consortium pétrolier pour racheter les 25% des parts de ce dernier, alors que les cours du pétrole sont retombés trop bas. Un marché de dupes. Pour IDI, ce contrat cache un « délit d’initié ».

La haine nourrie contre le Tchad

S’agissant du rapport des Nations Unies portant sur les exactions en République centrafricaine qui pointe du doigt les militaires tchadiens dans les exactions, Idriss Déby Itno l’a balayé d’un revers de la main ses conclusions : « Si l’on s’en prend au Tchad, c’est parce qu’il existe une haine contre notre armée qui a fait des sacrifices énormes pour protéger les intérêts des Occidentaux dans tous ces pays. Il y a des gens, des pays, des organisations qui nourrissent une haine contre le président Déby et contre l’armée tchadienne et c’est pour eux un moyen de se faire payer », soutient-il.

Quant à l’activisme des organisations de la société civile, pour le président tchadien, c’est l’Occident qui finance des groupuscules pour déranger les gouvernements africains, surtout les francophones. (…) Aussi, quand le Tchad arrête, juge, emprisonne une personne, il ne fait qu’appliquer ses lois.

Mais au-delà de ces morceaux choisis, l’extrait qui aura le plus retenu l’attention des Tchadiens, c’est celui relatif à la longévité du président de la République au pouvoir : « Vous êtes arrivés au pouvoir il y a bientôt 27 ans, vous aviez alors quasiment le même âge qu’Emmanuel Macron. Est-ce que vous entendez demeurer président à vie ? », interroge l’un des journalistes. Idriss Déby Itno a d’abord tenu à rappeler qu’il n’a pas connu une jeunesse dorée ; eu égard à l’histoire tumultueuse du Tchad marquée par plusieurs années de guerre. Mais aussi surprenant que cela, il a fait cette révélation : « J’aurais souhaité m’arrêter en 2006 après mon second mandat. J’aurais alors cédé le pouvoir. Mais la guerre a éclaté. Des mercenaires ont attaqué N’Djamena. Et alors que je ne le voulais pas, la France est intervenue pour changer la Constitution. Il y a un constitutionnaliste dont je ne connais même pas le nom qui est venu ici. J’ai dit que je ne voulais pas changer la Constitution mais ils sont passés par leurs arcanes et ont changé la Constitution ».

La France et la guerre ont forcé la main

A la question de relance qui a apporté plus de précision pour comprendre si, « Paris vous a forcé la main pour rester au pouvoir ? », le Chef de l’Etat enfonce le clou et assume ses propos : « Je dis qu’en tant que soldat j’avais donné ma parole de quitter le pouvoir en 2006, mais deux choses sont intervenues : la guerre et la France. (…) Maintenant, ce sont ceux-là même qui ont changé la Constitution qui me critiquent. (…) La guerre s’est arrêtée en mai 2008. La longévité dans ces fonctions n’est pas une bonne chose mais il ne faut pas non plus laisser le pays dans un désordre. Entre deux maux, il faut choisir le moindre. (…) Le jour où le peuple tchadien me dira de partir, je partirai ».

Idriss Déby Itno est perçu par une bonne frange de la population aussi bien à l’intérieur qu’à l’étranger comme le chantre du panafricanisme et l’icône de l’Afrique qui dit non à l’impérialisme, bref de « l’Afrique debout ». Sa sortie face aux occidentaux relative à la déliquescence de la situation en Libye après la chute du Guide de la Révolution libyenne, Mohamad Khadafi, est encore vivace dans la mémoire collective. Il a pointé du doigt la responsabilité des Occidentaux dans ce chaos et les a appelés à venir « assurer le service après-vente ». Tel, un certain Sékou Touré en 1958 avec son « non » à la « communauté », ou le dérangeant révolutionnaire Thomas Sankara ou encore l’ancien Président malien Alpha Omar Konaré qui s’offusquait que le Président Jacques Chirac réunisse des chefs d’Etats africains à Dakar pour un sommet France-Afrique, IDI a ces derniers temps adopté une position tranchée vis-à-vis de l’Occident, et plus particulièrement la France.

La posture du panafricanisme

Cette posture a révélé sa position non équivoque pour la sortie des pays africains de la zone FCFA : « (…) Il faut que les 14 pays restent regroupés et qu’ils renégocient pour que le Trésor français ne nous gère plus. C’est à nous de gérer notre monnaie avec notre banque centrale. Au niveau du conseil d’administration de notre banque centrale, nous avons trois Français qui siègent avec le droit de véto. Où est alors la souveraineté monétaire ? Comment voulez-vous que l’Afrique se construise ? D’ailleurs nos collègues d’Afrique anglophone, lusophone, arabophone nous disent que si nous connaissons aujourd’hui des malheurs, c’est à cause de vous, francophones (…) ».

Aussi, comment ne pas comprendre que beaucoup d’admirateurs du président Déby ne puissent tomber des nues lorsqu’il affirme que c’est la France qui lui a forcé la main et l’a obligé à changer la Constitution en 2005. S’il faudrait interpréter les propos du Chef de l’Etat, il y a deux options. Primo, s’il était avéré que la France a passé outre la souveraineté du Tchad pour modifier la Constitution (chose récurrente dans les colonies françaises), le Président Idriss Déby ne serait alors qu’un pantin manipulé à souhait par les officines de la Françafrique, un vassal de l’ancienne puissance colonisatrice. Et de là, tous ses coups de gueule ne seraient que de la diversion. Alors, toutes ses charges à l’encontre de l’Occident ne peuvent que sonner creux. Secundo, aux antipodes de la première analyse, soit le Président Déby, au plus mal sur le plan économique, chercherait simplement à maquiller son échec en matière de gouvernance en jouant la carte du populisme et celle de la victimisation : faire porter les déboires actuels du Tchad par la France.

Des déclarations aux antipodes de la réalité

Sans pour autant méconnaître le paternalisme de la France vis-à-vis de son pré-carré, même si l’idée de modifier la Constitution en 2005 venait de la métropole, quelques questionnements demeurent : le processus de modification de la Constitution a-t-il été déclenché depuis Paris ? Quel rôle avaient joué les constitutionnalistes et éminences grises tchadiennes lors de l’examen des dispositions à modifier ? La «nécessité de l’adapter (Constitution) aux réalités du pays», n’émanait-elle pas des Tchadiens pour qui la Constitution n’était ni la Bible ni le Coran pour être immuable ? Les députés à l’Assemblée nationale de l’époque étaient-ils des citoyens français ?

En brandissant l’argument de l’impérialisme occidental pour rallier à sa cause les Tchadiens et les panafricains, le président se trompe de stratégie. Un diagnostic serein des vraies causes des difficultés socioéconomiques et politiques actuelles du pays fait ressortir, entre autres, la gabegie, l’impunité, l’exclusion sociale, la mal gouvernance. Il nous faut donc une réflexion de fond pour trouver de vraies solutions à ces maux.

Njénodji Mbaïdedji Frédéric

TC n°358 Juin 2017

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Par : Boutros

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