Ecrire sans travestir, Informer sans manipuler, Analyser sans préjugés

Forum national : Vers des assises de trop ?

S’il est un fait qui cristallise les attentions ces derniers mois, c’est sans doute le débat sur les réformes institutionnelles censées renforcer la démocratie, améliorer le fonctionnement de l’Etat de droit et moderniser les institutions de la République. Chacun y allant selon son acception et son prisme.

Le Président de la République, Idriss Déby Itno, lors de la campagne pour l’élection présidentielle du 10 avril 2016, avait promis l’ouverture d’un vaste chantier de réformes institutionnelles du pays. Aussi, une fois la victoire acquise, a-t-il mis en place par décret n°681/PR/PM/2016 du 25 Octobre 2016 un Haut Comité chargé de Réformes Institutionnelles, placé sous l’autorité du Premier Ministre, Chef du gouvernement. Le Haut Comité, en sa qualité d’organe politique de pilotage des réformes institutionnelles, est investi de la mission de concevoir et de conduire le processus d’organisation d’un forum national de validation des réformes. Le Haut Comité devait associer toutes les forces vives du Tchad au processus, en vue de recueillir leurs attentes et leurs apports pour insuffler une nouvelle dynamique aux institutions de la République afin de renforcer la démocratie, l’état de droit, l’unité nationale et la stabilité du pays.

Des orientations claires

Plus concrètement, charge est laissée aux membres de cette structure de sensibiliser les populations et les différents acteurs socio-économiques sur les différentes thématiques de réforme à débattre lors de ces assises. Bref, d’amener chaque citoyen à partager la vision et contribuer à l’atteinte des objectifs attendus de ce forum.

Le Haut Comité est appuyé par un comité technique interministériel présidé par le Ministre Secrétaire Général du Gouvernement et créé par un Arrêté N°188/PR/PM/2017 du 18 Janvier 2017. Ce comité s’occupe des aspects opérationnels, bref de la mise en œuvre des grandes orientations.

Le 9 février 2017, lors de l’installation des membres du Haut Comité chargé des Réformes des Institutions, le Président de la République, a été on ne peut plus clair sur ses attentes : «des réflexions profondes doivent être engagées afin de proposer des réformes pertinentes et adaptées aux spécificités de notre pays. Toutes les thématiques susceptibles de concourir à la réalisation de l’objectif de consolidation des institutions et de pérennisation de la stabilité et de la paix devront être abordées sans tabou ».

Le ton a été ainsi donné. « Notre modèle institutionnel a fait ses preuves en permettant de bâtir une société démocratique, libre et stable. Néanmoins, tout en gardant à l’esprit cette performance, nous devons nous inspirer de la pratique et des manquements relevés, afin d’opérer les ajustements qui s’imposent dans la recherche de l’efficacité de l’État, mais également de la maitrise des recettes et des dépenses publiques. C’est dans cet esprit que s’inscrit la mise en place du Haut Comité de Réformes Institutionnelles composé des personnalités issues des diverses couches sociopolitiques de notre pays », a-t-il poursuivi. De manière non exhaustive, de grands thèmes de réflexion comme la forme de l’Etat, le réaménagement des grandes institutions, la promotion de la femme et des jeunes, le cadre d’organisation des élections, y figurent en bonne place.

Des consultations tous azimuts

Le Comité Technique Interministériel a été structuré en sous-comités thématiques  dotés chacun d’un cahier de charges précis, conformément à un chronogramme adopté. Ces sous-comités  ont ainsi organisé des consultations auprès des partis politiques, des organisations de la société civile, des autorités administratives, traditionnelles et coutumières, des médias publics et privés, des leaders religieux, pour ne citer que ceux-là. A l’issue de cette phase de collecte d’informations, un document de synthèse sera élaboré et soumis au Haut Comité chargé de Réformes Institutionnelles pour son adoption. Enfin, un forum national se tiendra pour débattre de toutes les propositions du Haut Comité chargé de Réformes Institutionnelles et éventuellement les valider. « Ce Forum fait partie intégrante des engagements que j’ai pris devant les électeurs et les électrices. Ces assises nationales que je veux consensuelles et ouvertes, serviront de cadre idéal d’implication de tous les acteurs nationaux à la conduite des reformes institutionnelles », a réitéré le Chef de l’Etat.

Dans cette optique, le Chef de l’Etat a lancé une série de rencontres avec les acteurs sociopolitiques : partis politiques, syndicats, religieux, etc. pour obtenir leur adhésion. Cet agenda a été bouclé le 25 août dernier par la rencontre des organisations féminines. Peu avant cela, les composantes de la société civile ont été aussi reçues pour donner leur vision par rapport à ce processus. Tout le monde a presque unanimement souscrit à l’initiative du Chef de l’Etat, à l’exemple de Mme Hélène Lambatim, présidente du Conseil national des femmes leaders du Tchad (CONAF) : « Nous avons échangé avec le chef de l’Etat sur les réformes institutionnelles  en vue du forum national qui sera l’occasion de revoir à mi-parcours la gestion de sa politique,  ce qui a été fait, ce qui est bien, ce qui ne l’est pas et comment faire pour le redresser. Et pour cela, il fallait consulter toutes les parties prenantes de la République et nous en faisons partie. Nous avons exprimé nos préoccupations par rapport à la participation de la femme au processus de paix et son implication aussi à tous les niveaux de développement (…) ».

La note discordante de l’opposition politique

La seule fausse note ou grain de sable qui semble mettre un bémol à cette quasi-unanimité est l’avis contraire du Front de l’Opposition Nouvelle pour l’Alternance et le Changement (FONAC) qui, dans son communiqué de presse n°10/FONAC/2017, a clairement soutenu qu’elle ne prendra pas part aux travaux de cette instance. « Le FONAC condamne et rejette cette fuite en avant du pouvoir qui voudrait une fois de plus distraire les Tchadiens », peut-on lire en extrait de ce communiqué signé de son président Mahamat Ahmat Alhabo.

Le ton de ce débat paraît intéressant, si on le place dans un contexte de jeu démocratique. Les thuriféraires sont dans leur rôle de donner un blanc-seing systématique à l’initiative desdites réformes institutionnelles, ainsi que les conciliateurs et les partisans du tout sauf le Forum national. Il est bien beau de multiplier des fora et cadres de concertation pour réfléchir sur la situation sociopolitique et économique du Tchad. Mais combien de rencontres de ce genre se sont-elles tenues depuis la Conférence Nationale Souveraine du 15 janvier 1993 qui reste la référence en matière d’assises nationales ? A chaque fois, des recommandations et résolutions en découlent, pour mieux construire l’avenir. A-t-on objectivement fait le point sur leur application pour en tirer les leçons ? Sans préjuger du bien fondé de l’initiative de réformer les institutions, a-t-on vraiment besoin du présent Forum national ? En outre, quoique les différentes parties prenantes de la vie politique aient été consultées, le présent Forum national aura-t-il la même légitimité et le même rayonnement que la Conférence Nationale Souveraine (CNS) durant laquelle les Tchadiens s’étaient vraiment ouverts pour le meilleur devenir du Tchad ?

L’absence d’une réelle volonté politique

Le vrai débat réside dans la volonté politique de nos gouvernants. Le plus important n’est pas de réussir le Forum national, mais plutôt de traduire dans les faits les conclusions qui en découleront. Vouloir d’un Etat fédéral, c’est bien, mais a-t-on vraiment avancé en matière de décentralisation recommandée par la CNS ? Réformer la Justice est une bonne chose, mais que fait-on des pratiques coutumières (à l’instar de la ‘‘Diya’’) qui tiennent le droit positif en l’état ? Réformer l’Administration est le vœu de tous, mais qu’a-t-on fait des conclusions de l’Accord politique du 13 août 2007 qui recommandent la démilitarisation de l’administration et de bien d’autres ?

Il ne sert à rien de faire une débauche d’énergie en mettant en place des structures budgétivores dont la valeur ajoutée n’apportera rien aux Tchadiens. Le citoyen lambda attend du concret, qu’on traduise dans les faits ses attentes pour que ses conditions de vie s’améliorent. Les débats d’intellectuels sans impact sur le quotidien des populations ne servent à rien.

Mbaïdedji Ndjenodji Frédéric

TC n°359 / Septembre 2017

Share on facebook
Facebook
Share on twitter
Twitter
Share on linkedin
LinkedIn
Par : Boutros

Par : Boutros

Laisser un commentaire