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Fatimé Amsissane Lamana : « L’autonomisation est un levier pour sortir la femme de l’assistanat »

Du 6 au 8 septembre 2019, l’Association des Femmes Commerçantes et Chef d’Entreprise du Tchad (AFCCET) a organisé son forum sous le thème « Femme vecteur d’une économie diversifiée »au Palais du 15 janvier. A l’issue des travaux du forum, Mme Fatimé Amsissane Lamana,  Secrétaire Générale de l’Association l’AFCCET a relevé les tenants et les aboutissants de ce forum dans une interview exclusive qu’elle a accordé à Tchad et Culture.

Tchad et Culture (T&C) : Comment est née l’idée de ce forum ?

Fatimé Amsissane Lamana (FAL) : L’idée est partie de la redynamisation de l’ AFCCET.  Après 25 ans d’existence, nous avons décidé de sortir du carcan habituel de l’artisanat. Nous voulons développer nos produits locaux, valoriser nos filières porteuses, accéder aux marchés de plus en plus exigeant et vecteur de richesse. Nous voudrions aussi faire émerger des leaders femmes qui inspireront les jeunes générations et  promouvoir le concept d’entreprenariat et l’autonomisation des femmes et filles entrepreneuses. Notre ambition est que le nouveau concept de l’entreprenariat féminin soit assimilé. D’après notre constat, il n’existe aucun contenu  pour la promotion de ce concept qui pourtant est le fondement du développement économique durable. Sous d’autres cieux, l’entreprenariat féminin a fait ses preuves dans la prospérité des nations.

T&C : Quels sont les résultats  des  conférences, des ateliers organisés lors de ce forum ?

 FAL : Les conférences ont permis de cerner les contours de l’entrepreneuriat féminin. Les différents échanges ont également permis de faire ressortir les forces et les faiblesses de l’entreprenariat féminin au Tchad. En ce qui concerne les forces, les participantes ont relevés qu’il existe 16 filières porteuses à développer ; les femmes sont très actives dans le commerce; elles sont dynamiques et fédérées. Parlant des faiblesses, nous pouvons citer le manque d’appuis conséquents,  le concept entrepreneuriat semble nouveau et moins appréhendé,  aucune politique adéquate pour sa promotion, les filières ne sont pas valorisées, les autorités ne se contentent que des ateliers et des fora qui n’ont aucun impact sur l’entrepreneuriat féminin, le leadership en milieu rural n’est pas développé. Les circuits de production, de transformation et de distribution ne sont pas organisés. Le travail des femmes n’est pas comptabilisé. Les études sur l’entreprenariat féminin n’existent pas. Les échanges ont également permis de démontrer l’intérêt de développer l’entreprenariat en milieu rural pour booster l’économie nationale.

T&C : Pourquoi est-il important de développer l’entreprenariat en milieu rural ?

FAL : Les femmes rurales dirigent de plus en plus leurs propres entreprises, bien que leur potentiel entrepreneurial reste largement méconnu et insuffisamment exploité. Au regard de leur rôle en matière de gestion des ressources naturelles et des responsabilités qui leur incombent souvent en termes de provision en énergie dans leurs foyers, elles sont des actrices de premier plan. Les femmes se chargent de la plus grande partie de travaux agricoles, contrôlent l’essentiel de l’économie non monétaire (agriculture de subsistance, garde et éducation des enfants, tâches ménagères, fourniture en eau et en énergie). Elles contribuent largement à assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle, à générer des revenus et à améliorer les moyens d’existence et le bien-être général des ménages, en particulier ceux à faible revenu. Dotées de ces avantages (accessibles depuis longtemps aux hommes), les femmes peuvent accroître leur contribution au développement national et à la réduction de la pauvreté. Il est crucial d’augmenter la participation économique des femmes rurales si l’on veut atteindre les Objectifs du Développement Durable.

T&C : Quels sont les défis de l’heure en matière de l’entrepreneuriat féminin et l’autonomisation de la femme au Tchad et comment comptez-vous les relever ?

FAL : Les femmes sont confrontées à l’accès aux équipements comme le kit entrepreneurial. Le financement conséquent et adapté à travers les fontaines n’est pas suffisant. Le Tchad manque cruellement d’infrastructures. Le pays ne dispose pas d’édifices marchands. L’état défectueux des routes rend difficile l’accès aux marchés. Les femmes n’ont pas accès à la terre et n’ont aucune garantie pour bénéficier des crédits. Les zones reculées ne disposent pas de banque. Les micros crédits sont insuffisants et le plus souvent les promoteurs soudoient les bénéficiaires.

L’autre défi majeur est la prise en compte du concept autonomisation par l’Etat. Il ne doit pas être considéré comme un rideau d’apparat sur l’un des problèmes liés au genre. Mais le concept de l’autonomisation de la femme doit plutôt être un levier pour amener la femme tchadienne à sortir de l’eternel esprit d’assistanat. L’autonomisation invite à l’esprit de créativité, à disposer des outils nécessaires pour améliorer la qualité de son activité commerciale. Nous estimons qu’un ensemble de mesures politiques est nécessaire pour relever ces défis. Il faut promouvoir une éducation féminine de qualité dans les zones rurales et réduire les disparités. Renforcer le potentiel humain, développer le capital physique et promouvoir l’innovation, améliorer la qualité de la production et des produits, la diversification de l’économie rurale, l’amélioration de la qualité de la vie en milieu rural, multiplier les formations professionnelles et acquisition de compétences et l’alphabétisation fonctionnelle. Il est aussi très important de créer des structures entrepreneuriales pour empêcher l’exode rural.

T&C : Quels sont les besoins recensés lors des échanges pour promouvoir l’entrepreneuriat féminin et l’autonomisation ?

FAL : Les femmes ont marre d’être conviées pour des youyous. Elles  ont pris conscience de leur rôle dans la société et de leur apport dans la croissance économique du Tchad. Elles souhaitent être accompagnées dans la réalisation de leurs projets. Les femmes veulent également une garantie et des crédits à taux préférentiels, elles désirent aussi la mise en place d’une politique qui leur permettre de mieux produire, mieux transformer et mieux distribuer leurs produits et d’accéder à un vaste marché national régional et mondial avec ses exigences.

T&C : Selon la ministre du Commerce, de l’Industrie et de la Promotion du secteur privé, AchtaDjibrine Sy, seulement 7% des femmes détient une entreprise formelle. Le  secteur informel est constitué à plus de 90% par les femmes. Comment les travaux du forum pourraient aider à inverser la tendance ?

FAL : Nous sommes conscients de la situation. Mais il faut dire aussi que le problème est transversal  et nécessite beaucoup d’efforts. Il implique une réelle participation de tous les acteurs. L’Etat doit être le premier incubateur car il n’y a pas de développement sans investissement.

La CEEAC est un portail par lequel le Tchad peut passer pour développer l’entreprenariat, gage d’une nation prospère, de création d’emplois et des richesses. L’informel peut-être structuré progressivement sous les normes de l’OHADA.

Nous avons besoin du soutien de la ministre. Nous estimons qu’elle est mieux placée surtout qu’elle fait partie de plusieurs organisations des femmes au Tchad (celiaf, said al awine). Elle appréhende mieux le problème. Nous pensons aussi qu’il est important  de tirer profit du secteur informel  et le transformer en opportunité à l’exemple des pays comme le Togo, le Sénégal et bien d’autres.

T&C : Plusieurs recommandations ont été formulées par les femmes lors du forum, disposez-vous des mécanismes ou des moyens pour que ces recommandations aboutissent ?

 FAL : Nous ne sommes que le canal conducteur vers les concernées mais nous avons tout de même la responsabilité de chercher des voies et moyens pour que le concept d’autonomisation des femmes s’opérationnalise convenablement.  Nous sommes surtout des commerçantes et l’entreprenariat nécessite beaucoup d’efforts de la part du gouvernement, les partenaires qui œuvrent  pour l’autonomisation de la femme et  les concernées elles-mêmes.  Nous pouvons déjà vous dire que les femmes envisagent d’élaborer leur stratégie sur le long terme. Elles suggèrent même la rédaction d’une Stratégie Nationale pour la Promotion de l’Entreprenariat Féminin à l’image du pays des hommes intègres le Burkina Faso.

T&C : Avez-vous un mot à l’endroit de vos consœurs  qui se lancent dans l’entrepreneuriat ?

FAL : Il n’y a pas de raccourci au succès. Pour entreprendre il faut d’abord disposer d’une base solide. L’entrepreneuriat exige  une certaine connaissance dans la conception ou l’élaboration d’un projet. Il est important que mes consœurs sachent que devenir entrepreneure demande à développer son idée pour en faire un véritable projet.  Lorsque cela est possible, il faut tester le projet. Ensuite, il faut aussi s’interroger à propos de la faisabilité du projet. Quand le projet de création d’entreprise est mûrement réfléchi et réalisable, vous pouvez passer à l’élaboration du business plan et la recherche du financement.

Je voudrais aussi dire à mes sœurs que si la première tentative ne marche pas, il ne faut pas baissez pas les bras. Gardez à l’esprit que si vous n’abandonnez pas, vous ne perdrez pas. Le succès n’est pas le fruit de la volonté uniquement, cela demande aussi de la consistance et de la détermination.

Interview réalisée par Dieudonné Pechene

TC 380, octobre 2019

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Nestor HINYANDIGUIM MALO

Nestor HINYANDIGUIM MALO

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