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Dr Sitack Yombatina Béni : « Rien ne se cache de nos jours »

En exil depuis les manifestations du 20 octobre 2022, le vice-président du parti Les Transformateurs, Dr Sitack Yombatina, analyse les événements politiques au Tchad depuis la levée de la suspension des activités de son parti et six autres, et la publication de l’enquête de Human Right Watch.

Tchad et Culture : Le 20 janvier dernier, le ministre de l’Administration du Territoire, de la Décentralisation et de la Bonne Gouvernance a levé la mesure d’interdiction des activités des 7 partis politiques ayant appelé à la manifestation du 20 octobre, dont le Parti Les Transformateurs, votre parti politique. Quel commentaire vous inspire cette décision ? Les Transformateurs pourront-ils sereinement reprendre leurs activités politiques ?

Dr Sitack Yombatina : Le premier commentaire qui m’inspire est celui de l’injustice. Depuis plus de vingt ans, j’ai enseigné la justice, l’équité et le droit, des vertus auxquelles je crois toujours. J’ai combattu pour ces valeurs non seulement avec Les Transformateurs, mais aussi avec la société civile, les syndicats. Le Tchad que nous voulons construire ne peut être assis que sur la justice, l’équité et le droit. Le 20 janvier, c’est par un communiqué que le ministre a informé de la levée de la mesure de suspension des activités des 7 partis concernés par l’interdiction d’activité. Or, c’est par arrêté qu’il a suspendu ces partis d’activités. Conformément au parallélisme de forme, il se pose un problème. Mais c’est le mode de fonctionnement de la junte au pouvoir depuis son avènement. De ce fait, quelle est la validité du communiqué et même de l’arrêté du ministre pris le 20 octobre 2022 ? Dans le communiqué, il est fait mention de trouble à l’ordre public, à la sécurité portant gravement atteinte à la sûreté de l’Etat et au bon fonctionnement des institutions républicaines. C’est à se demander si le gouvernement est devenu la justice puisqu’il a lui-même déjà retenu les charges. Du moment où l’exécutif se substitue au judiciaire pour condamner au mépris de la présomption d’innocence, que peut faire la justice ou une enquête internationale ? Il faut voir en ce communiqué du ministre les trois éléments constitutifs de ce régime qui sont le mensonge, l’hypocrisie et le cynisme.

Les Transformateurs peuvent-ils reprendre leurs activités sereinement dans ce contexte ? Le parti Les Transformateurs est créé pour lutter contre les injustices. Ces injustices sont restées intactes ; elles se sont même multipliées. Il faut continuer à les combattre. Comme l’a dit Martin Luther King, l’injustice, où qu’elle se trouve, est une menace pour paix. Le régime et ses acolytes continuent de perpétuer l’injustice.

Tchad et Culture : L’organisation Human Right Watch a publié le rapport des enquêtes sur les manifestations et les pertes en vies humaines qui en ont découlé. Que dites-vous de cette enquête ?

Dr Sitack Yombatina : Les gens doivent arrêter de mentir. La plupart des organisations de défense des droits de l’homme et les partenaires du Tchad étaient déjà au pays avant le 20 octobre. Ils ont suivi de très près ce qui s’est passé. Une organisation comme Human Right Watch ne fait pas des enquêtes pour plaisanter. Bien avant cela, l’Union Européenne a sorti un rapport juste après le décès du Maréchal du Tchad, Idriss Déby Itno, pour dire que le Conseil Militaire de Transition (CMT) avait opéré un coup d’Etat tout en exigeant le respect des engagements pris en son temps par le CMT. Elle a également condamné les tueries du 20 octobre et exigé la mise sur pied d’une enquête internationale. Un émissaire allemand a également produit son rapport pour condamner ce qui s’est passé le 20 octobre, et a demandé à l’Union européenne, particulièrement à la France, d’arrêter de soutenir les autorités tchadiennes. Les informations de Human Right Watch sont réelles. N’oublions pas que c’étaient les informations de Human Right Watch qui ont permis la tenue du procès d’Hissein Habré. Aujourd’hui, rien ne se cache et les tueries de masse comme ce que nous avons connu ne resteront pas impunis. On dit que quelle que soit la durée de la nuit, le jour finit toujours par se lever. Human Right Watch demande que justice soit rendue aux victimes. Elle n’a fait dire ce que ses agents sur le terrain ont vu. Amnesty International et toutes les organisations internationales des droits de l’homme ont dit la même chose.

Tchad et Culture : Le gouvernement vient de mettre sur pied un comité chargé de conduire le processus du référendum constitutionnel au Tchad. Quelle appréciation faites-vous de cette démarche ?

Dr Sitack Yombatina : C’est une démarche bancale, suicidaire, injuste et exclusive. Ce sont tous ces maux qui nous ont amenés là où nous sommes aujourd’hui. Le Dialogue National Inclusif et Souverain (DNIS) était pour nous une occasion unique d’ouvrir un débat franc et sincère. Personne ne nous a écoutés. Les mêmes personnes sont désignées pour préparer le terrain de l’Etat unitaire qui est rejeté par la population. C’est une situation qui va encore amener le Tchad dans des crises. Les démarches doivent être inclusives. Je pense qu’il faut tout annuler et reprendre ces démarches de manière inclusive.

Interview réalisé par Nestor H. Malo

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Nestor HINYANDIGUIM MALO

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