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Dr Abdelkérim Marcelin : « La mise en place du CNT participe de la volonté de faire renaître l’ancien système »

Le 5 octobre 2021, il a été installé le Conseil National de la Transition (CNT) du Tchad qui a porté à sa tête l’ancien président de l’Assemblée nationale. Cet organe vient compléter le dispositif institutionnel prévu par la Charte de la Transition pour conduire le pays vers une vie démocratique normale. Entretien avec Dr Abdelkérim Marcelin, juriste et politologue, sur les enjeux de la transition et le retour à la paix au Tchad.

Tchad et Culture : En quoi la mise en place du Conseil National de Transition (CNT) est-elle nécessaire pour la poursuite de la transition au Tchad ?

Dr Abdelkérim Marcelin : Je voudrais tout d’abord rappeler que la démocratie autoritaire a été assassinée avec la mort du Maréchal du Tchad, Idriss Déby Itno. Après cette disparition, il y avait urgence de mettre en place un organe qui pourrait gérer la transition pour que l’Etat ne se retrouve pas sans exécutif. En second lieu, cette transition est partie sur la base de la dissolution de la Constitution par la Charte de la transition édictée par le Conseil Militaire de la Transition (CMT). Qui dit transition dit urgence. Il y a donc urgence à mettre sur pied des institutions en mesure d’assurer le bon fonctionnement de l’Etat en attendant la mise en place des institutions démocratiques, issues de la volonté du peuple. Le CNT est donc un parlement transitoire qui vient appuyer le gouvernement et le CMT. Ces trois organes transitoires seront chargés de gérer de manière transitoire en attendant des décisions qui seront issues du dialogue national inclusif. De ce point de vue, sa mise en place est nécessaire.

TC : Le choix  de ses membres opéré sur la base de cooptation peut-elle rassurer quant à son indépendance, sa lucidité dans la prise des décisions ?

A.M. : Dans l’urgence, il faut toujours coopter. Cependant, l’on peut légitimement se demander si cette cooptation s’est opérée de manière objective. A regarder de près sur la liste de ses membres, le CNT est constitué sur la base d’affinités politiques, dominées par le grand groupe du régime du MPS. Ce  qui entre en droite ligne de la politique du MPS et de sa coalition. Ce sont des proches de dignitaires du MPS qui sont sur la liste. Cela amène à penser à une certaine récompense pour les militants de ce parti. Les Conseillers de la Transition seront simplement appelés à valider la politique du MPS qui est presque décédé.

TC : Quel rôle jouera alors le CNT au futur dialogue inclusif ?

A.M. : Comme parlement provisoire, il sera appelé à valider les actes qui sortiront du Dialogue national Inclusif. Tout le risque que l’on encourt est de retomber dans les pratiques de l’ancien système qui n’est pas mort. La mise en place du CNT participe de la volonté. Et il ne sera pas étonnant que l’on retrouve à la tête de ce système Monsieur Mahamat Idriss Déby Itno.

TC : Parallèlement, on travaille à organiser un dialogue national inclusif qui devrait réfléchir aux conditions de refondation d’un Tchad nouveau, réconcilié avec lui-même et ses fils… Les décisions de ce dialogue peuvent-elles s’opposer au CNT ?

A.M : On peut regarder la situation sous deux angles : réaliste et subjectif. De manière réaliste, les décisions issues du dialogue doivent s’imposer ipso facto aux institutions mises en place pour la transition. On estime que le dialogue va prendre en compte toutes les aspirations du peuple tchadien, parce que toutes les couches y seront représentées. Mais du point de vue subjectif, les membres du CNT ont été cooptés par le gouvernement pour faire sa volonté. Ainsi, quel que soit ce qui sortira du dialogue, le CNT risque d’y avoir un toilettage nécessaire pour que le résultat corresponde à la volonté du gouvernement.

TC : Au regard de ce tableau pas du tout rassurant, le Tchad est-il sur une bonne voie pour ramener la paix et la démocratie au pays ?

AM : On peut répondre par oui et non. Oui, parce qu’il y a déjà une prise de conscience de la population, notamment de la société civile qui interpelle les gouvernants à travers les manifestations pacifiques et autres mouvements. Les gouvernants sont constamment alertés sur les risques encourus. Si ceux-ci sont attentifs à ces alertes, on peut parvenir à un bon résultat. Mais si les résolutions du dialogue national inclusif qui prennent en compte les aspirations du peuple sont torpillées, si les gouvernants  font la sourde oreille en voulant opérer un passage en force, on risque d’arriver à un éclatement semblable à la situation vécue par le Soudan. N’oublions pas que les rebelles aussi sont très actifs en ce moment au Nord du pays.

Ainsi, si les propositions pertinentes qui seront formulées par le dialogue national inclusif ne sont pas appliquées, on ira droit au mur. Si nous sommes arrivés au stade actuel de la vie politique tchadienne, c’est que les résolutions très pertinentes de la Conférence Nationale Souveraine (CNS) de 1993 ont été démantelées l’une après l’autre. La Constitution tchadienne de mars 2996 était l’une des meilleures en Afrique. Mais au fil du temps, elle a été dépouillée de toute sa substance. Et les organes actuels de la transition doivent y faire attention !

Interview réalisée par Nestor H. Malo

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Nestor HINYANDIGUIM MALO

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