Dans une lettre ouverte, M. Djimrabaye Bourngar, adresse ses félicitations au nouveau président élu, Mahamat Idriss Deby Itno, tout en décrivant le désespoir des Tchadiens à l’issue du scrutin présidentiel du 6 mai 2024. Il dénonce la mort des compatriotes tués par des « tirs de joie » et la chasse aux sorcières contre les militants du parti Les Transformateurs.
Djimrabaye Bourngar, ce magistrat est connu dans le milieu judiciaire, mais aussi par les Tchadiens pour son franc-parler, sa témérité et son écriture qui lui est propre. Dans un style empreint de politesse, il se présente comme un citoyen Tchadien, libre de tout parti. M.Bourngar a tout d’abord félicité Mahamat Idriss Deby Itno pour sa « brillante victoire » au scrutin présidentiel du 06 Mai dernier. « Je ne saurais rester muet face à un exploit aussi miraculeux, preuve de la marque de confiance et d’estime que vos compatriotes vous témoignent une fois de plus, après vous avoir vu à l’œuvre pendant les trois difficiles années de la transition», s’est-il tout d’abord réjoui.
Puis, dans cette lettre qui prendra les allures d’un pamphlet, le magistrat décide de partager quelques impressions de ses compatriotes. « Comme nos compatriotes, je me préoccupe aussi de savoir de quoi demain sera fait. A quelle sauce nous mangera-t-on », s’interroge-t-il assurant de prime abord que « pour toute réponse, nous ne savons que soupirer ». Le choix de cette lettre de félicitations, indique son auteur, contredit et contrarie « la grande masse » des compatriotes. Ceux-ci sont partagés depuis le jeudi 9 mai dernier, entre « colère, révolte, déception, frustration, désarroi, inquiétude et peur » et sont « foncièrement partagés entre colère, révolte, révulsion, déception, frustration et désespoir. Ils croient avoir tout donné, tout cédé, tout concédé, tout sacrifié, jusqu’au prix de leur dignité pour pouvoir voir émerger le Tchad de leur rêve où ils peuvent vivre libre, égaux, justes, frères, dignes et en paix ». Les Tchadiens ont vu hélas leur « espoir » s’évanouir brutalement en l’espace de trois jours seulement. « Leurs bouches ne murmurent, ne ruminent et ne psalmodient que des jurons et des questions sans réponse », énumère Djimrabaye Bourngar. Pour lui, jusqu’aujourd’hui, ses compatriotes s’interrogent : « Pourquoi organise-t-on les élections dans ce pays ? Pourquoi la démocratie des armes l’emporte toujours sur la démocratie des urnes dans ce maudit pays ? Vaut-il encore la peine et la dignité d’être Tchadien » ? Il n’y a que « de questions sur toutes les lèvres », s’exclame l’auteur.
Du sang humain au lieu de moutons pour fêter la victoire
Le magistrat dénonce aussi l’état d’esprit des Tchadiens qui s’attendaient « avec une grande assurance » la proclamation de la victoire de leur candidat dans deux semaines. Mais au lieu de cela, le ciel leur tombe dessus, juste trois jours après. « Le Jeudi, 09 Mai 2024, vers vingt-deux heures, le coup de semonce est donné ! C’est exactement le perdant des rumeurs qui est proclamé vainqueur dès le premier tour », précise-t-il dans cette lettre. Et la plus insolite, enfonce le magistrat, sera la célébration de cette victoire par les militaires et assimilés des Forces de Défense et de Sécurité. « Alors qu’en pareilles circonstances, on n’attendait et on n’entendait que les youyous des femmes, les hourras des hommes et les pets des bouteilles de champagne, ce jour-là, ce sont plutôt des armes à feu, des armes de guerre de tous les calibres, qui pètent, pétaradent, tonnent et détonnent dans toutes les cours de vos alliés, affiliés et affidés et thuriféraires, militaires, paramilitaires et civils armés », dénonce-t-il. Pire, poursuit Djimrabaye Bourngar, « au lieu du champagne ou de la bière qui doit couler, c’est du sang humain qui a coulé à flot et ruisselant vers le Chari et le Logone ! Au lieu de moutons ou de veaux, ce sont des dizaines de nos paisibles compatriotes qui sont immolés par ceux qui se réclament de vous pour fêter cette victoire ! Pour vos compatriotes, ces tirs n’ont rien du hasard ».
Il s’agit, ni plus ni moins, « des tirs de revanche », « des tirs de vengeance », « des tirs d’intimidation » et « des tirs de braquage », rapporte l’homme de droit. Les « laudateurs » du candidat de la coalition Tchad Uni « ne le nient pas ». Il rapporte que quelques « intrépides soldats, crachent crûment ». « Ce pouvoir, nous l’avions gagné par les armes et nous ne laisserons personne nous le ravir par de simples bouts de papier !. Ils jurent que de leur vivant, ils ne laisseraient personne d’autre gouverner ce pays », ajoute-t-il.
Les chasses aux sorcières contre Les Transformateurs
Pour l’auteur de la Lettre, les Tchadiens vivent la peur au ventre depuis l’annonce de la victoire de Mahamat Idriss Deby Itno et perdent le sommeil. « Ceux qui dorment encore, ne dorment que d’un œil », complète-t-il, rappelant les tristes souvenirs du « jeudi noir du 20 octobre 2022 », ou les cauchemars du Tibesti, du Ouaddaï, du Guera, du Salamat, du Mayo-Kebbi, du Logone Oriental, du Moyen-Chari et de N’Djamena. « Vos compatriotes voient l’avenir, leur avenir, l’avenir de leurs enfants en noir. Ils n’attendent du mandat qui s’annonce que du pire. Qu’ils ne s’attendent qu’aux massacres et carnages. Ils ne s’attendent qu’à voir l’insécurité supplanter la sécurité partout dans les villes, villages et quartiers. Ils ne s’attendent qu’aux ‘jeudis noirs’ dans tout le Pays », note le magistrat.
Les parents, s’inquiète M. Djimrabaye Bourngar,ne s’attendent qu’à voir les « escadrons de la mort » débarquer dans les quartiers et villages, « rafler leurs enfants, violer leurs filles et femmes, piller leurs biens et brûler leurs cases ». Les jeunes ne s’attendent selon lui qu’à se voir « raflés, torturés, tués et jetés en pâture aux rapaces et charognards du désert ou aux crocodiles du Lac-Tchad » et les femmes « soupirent et ne s’attendent qu’à voir leurs enfants et maris raflés, séquestrés, torturés et déportés et embastillés au tristement célèbre bagne de Korotoro ». Et dans ces circonstances, l’on découvrira dans les jours à venir, selon l’auteur, « des odieuses images des corps sans vie, mutilés et putréfiés, des militants et sympathisants du Parti Les Transformateurs et ceux de leurs pestiférés chefs joncher les rues de nos villes et campagnes ». Il évoque des chasses aux sorcières, sur instigation et délation de vieux cadres politiques signalées déjà dans l’arrière-pays contre ces derniers qui n’augurent rien de rassurant et n’inaugurent pas un bon mandat. « A ces Les Transformateurs, on leur a arrachée leur victoire des urnes par les armes, qu’on leur foute au moins la paix. (…) On ne persécute pas sa jeunesse. On ne massacre pas sa jeunesse. On ne génocide pas sa jeunesse. On écoute sa jeunesse », indique-t-il, précisant par ailleurs que ce Peuple est fatigué et découragé pour avoir trop longtemps été fort et courageux.
Stanyslas Asnan