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Discours d’investiture du 8 août 2016 : Déby s’inscrit dans la continuité

Le lundi 8 août dernier, dans une ambiance solennelle et devant un parterre de quatorze chefs d’Etat étrangers, Idriss Déby Itno a été investi, pour la cinquième fois consécutive, président de la République du Tchad. Dans son discours-programme, il a déroulé les grands axes de son nouveau quinquennat. Que retenir en substance ?

Comme pour tout discours d’investiture, les Tchadiens étaient suspendus aux lèvres de leur chef de l’Etat ce 08 août 2016. En expectative, l’annonce de grandes mesures pour le devenir du Tchad, les cinq prochaines années. Comparativement au précédent quinquennat, pas de changements majeurs. Idriss Déby Itno s’est voulu prudent, évitant de faire des promesses creuses, et s’est inscrit dans la continuité.

Contexte sécuritaire oblige, Idriss Déby Itno, en sa qualité de Chef suprême des armées et de premier responsable de la sécurité des Tchadiennes et des Tchadiens, a focalisé son attention sur la préservation de la paix et de la sécurité, sans lesquelles toute autre œuvre serait vaine. Ainsi, relève-t-il, le gouvernement sera amené à prendre toutes les mesures qui s’imposent afin de poursuivre la lutte implacable contre le terrorisme partout où il peut menacer notre sécurité ou nos intérêts. Un avertissement aux illuminés de l’Etat Islamique en Afrique Occidentale, ex-Boko Haram.

La femme toujours courtisée

Sur le terrain politique, IDI rassure que le dialogue, l’ouverture et la main tendue seront toujours promus comme ciment de la concorde nationale, à l’endroit de ceux qui sont animés d’une réelle intention constructive. Cette invite du Chef de l’Etat trouvera sûrement écho au sein de l’opposition politique tchadienne marquée ces jours-ci par des déchirements à répétition.

Au sujet de la femme et de la jeunesse, la continuité apparaît de manière plus claire. « La femme tchadienne est valeureuse et généreuse, elle est patriote et engagée, elle est responsable et d’une dignité insoupçonnable. Elle mérite l’admiration et la reconnaissance de la nation », a encensé Idriss Déby Itno. Et de rassurer un peu plus loin : « la promotion et la protection des droits de la femme, de tous les droits de la femme, seront au centre de mes préoccupations. La femme tchadienne aura sa place dans tous les segments de la société nationale en commençant par l’accès à l’éducation ». À la lecture de ces morceaux choisis, on a vu la crème des femmes présentes à la cérémonie, applaudir à rompre les mains. Mais avant de jubiler suite à ces propos laudateurs, ces femmes se sont-elles demandé si depuis la promesse du chef de l’Etat de leur concéder 30% de représentativité aux instances de prise de décision, un acte réglementaire ou législatif a été pris pour la matérialiser. De même, le document national de politique genre, la stratégie nationale de lutte contre les violences basées sur le genre, ainsi que le projet du code des personnes et de la famille attendent toujours.

Un clin d’œil à l’endroit des jeunes

Aux jeunes, le chef de l’Etat a fait également les yeux doux. « Je mesure pleinement l’ampleur de vos attentes, je comprends les angoisses et les incertitudes qui vous habitent et j’ai conscience de vos espoirs déçus », reconnaît-il, avant de rassurer : « vous pouvez avoir foi en ma détermination résolue à apporter les réponses appropriées aux préoccupations qui vous animent et qui m’engagent ». Tout en relevant que l’éducation de qualité est le plus sûr investissement à faire pour le pays, le Chef de l’Etat insiste que «les réformes préconisées par les états généraux de l’éducation seront parachevées, l’entrepreneuriat des jeunes sera développé, la promotion des sports sera poursuivie et l’accès à l’emploi tant public que privé continuera d’être suivi ».

Des propos aux relents de déjà-entendu, alors que le secteur de l’éducation vit une de ses périodes de crises les plus dures : grèves interminables dans l’enseignement supérieur entraînant des années  de plus en plus élastiques, fronde des maîtres communautaires, baisse de niveau sans précédent. Bien entendu, le taux d’admission au baccalauréat en nette progression ne doit nullement occulter la face cachée de notre système éducatif. Par ailleurs, lorsque l’on passe en revue les déconvenues du sport tchadien, les balbutiements dans l’entrepreneuriat des jeunes ainsi que la crise de l’emploi, les jeunes veulent du concret. Le document de politique nationale de la jeunesse, en finalisation, est fermement attendu avec une traduction dans les actes.

Concernant les infrastructures, le chef de l’Etat s’est félicité qu’en l’espace d’une décennie, le Tchad a effectué une avancée spectaculaire. Il a énuméré la réalisation de milliers de kilomètres de routes bitumées et la construction de plusieurs aéroports répondant aux normes internationales. Cependant, vu la durabilité de ces ouvrages, l’on est vite déçu. Les multiples rapports du Collège de Contrôle et de Surveillance des Revenus pétroliers sur les ouvrages financés sur les fonds pétroliers confortent ces observations.

La sécurité alimentaire, un défi permanent

Justement, par rapport à l’économie, Idriss Déby Itno prévient que le salut ne viendra jamais des ressources pétrolières dont la modestie et la volatilité exposent plus qu’elles ne rassurent. « C’est pourquoi, dans la continuité du quinquennat précédent, le quinquennat qui commence sera prioritairement consacré au développement rural afin de parachever l’œuvre déjà entreprise dans l’atteinte effective de la sécurité alimentaire et de la constitution d’un tissu industriel solide de transformation locale de nos produits d’élevage et d’agriculture ». On ne peut faire le diagnostic du développement rural sans auditer le Programme National de Sécurité Alimentaire (PNSA), ce vaste programme doté des moyens colossaux et sur quoi le gouvernement a misé. Quelle est la valeur ajoutée du PNSA ? S’agissant du tissu industriel, qu’a accouché l’usine de jus de fruits de Doba ?

En matière d’énergie, le président réitère son engagement selon lequel «les projets en cours d’exécution seront renforcés par le lancement des vastes programmes énergétiques qui permettront à notre pays de diversifier ses sources et d’accroître ses capacités, afin de garantir une énergie disponible et abordable à nos concitoyens et à nos entreprises ». S’il y a lieu de saluer la desserte presque permanente d’une bonne frange de population de la capitale en énergie, le fossé est très grand lorsqu’on fait le parallèle avec les habitants du Tchad profond. Comme le chef de l’Etat l’a fait avec le taux d’accès à l’eau potable dont il a prévu un bond de 53% à 83% d’ici à la fin du quinquennat, il serait souhaitable qu’il avance des prévisions concrètes, surtout pour un pays dont on dit que le prix du kilowatt heure est parmi les plus onéreux au monde.

L’autre chantier où ce quinquennat est très attendu, c’est celui de la gouvernance des ressources publiques. IDI a été sans équivoque sur la question : « la rigueur et la transparence dans la gestion des ressources publiques à tous les niveaux, le fonctionnement efficace des services et institutions publics, la lutte implacable contre toutes les formes de prévarications économiques et financières : ce sont là des causes vitales qui mobiliseront mon énergie de tous les instants». Lors du lancement, en mai dernier, de la campagne agricole à Goz-Beïda, Idriss Déby Itno a annoncé un audit général de l’administration publique des  cinq dernières années, secteur par secteur, avant d’entamer son nouveau mandat. Suivant le constat des précédents quinquennats où des cas de prévarications étaient légion, l’on serait tenté d’émettre des doutes face à cette énième sortie.

La gouvernance, le talon d’Achille d’IDI

Idriss Déby Itno a placé ce mandat sous le sceau de la réforme institutionnelle, notamment l’appareil judiciaire et l’Administration dans toutes ses composantes. Il a souligné qu’il «appartiendra à l’ensemble des forces vives de la Nation qui seront réunies dans le cadre d’une large consultation nationale, de faire ce diagnostic institutionnel et proposer les solutions adaptées à nos réalités». Cette rhétorique assez voilée laisse pantois. On s’attendait à ce que la question du fédéralisme et celle de la limitation du nombre de mandat présidentiel, soient clairement abordées. Pour certains analystes, Idriss Déby Itno, fin stratège, a choisi simplement de couper l’herbe sous les pieds de ses adversaires politiques. La feuille de route de son Premier Ministre Pahimi Padacké Albert reconduit à ses fonctions se doit d’être plus parlante sur ces omissions.

Mbaidedji Ndjenodji Frédéric

TC n°349/Septembre 2016

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Par : Boutros

Par : Boutros

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