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Dionadji Ngass David, artiste et musicien : « Les artistes se sont promptement engagés à lutter contre le coronavirus »

Artiste chanteur-compositeur (Photo : NHM/TC)

Depuis que le Tchad est frappé par la Covid-19, les institutions publiques et privées mènent des activités d’information et de sensibilisation pour conscientiser toutes les couches de la population sur les mesures barrières pour stopper sa progression dans le pays. La revue Tchad et Culture a accordé une interview à Dionadji Ngass David qui explique en détail les contributions des artistes tchadiens à la lutte contre cette pandémie.

Tchad et Culture (TC) : Depuis le mois de mars, le Tchad est frappé par la pandémie du nouveau coronavirus, la Covid-19. Comment les artistes tchadiens ont-ils contribué à la lutte contre cette pandémie ?

Dionadji Ngass David (DND) : Merci de porter le choix sur ma modeste personne pour échanger avec vous sur cette question d’actualité très importante, sans autant me passer pour être le porte-parole des corporations artistiques. Malgré l’expérience et  l’ancrage dans le métier, mes avis sont personnels.

Au fait, ce n’est pas pour la première fois que les artistes rangent leurs thématiques de divertissement dans les tiroirs au profit des problèmes sanitaires des populations (VIH-Sida, cholera, polio, palu, etc.) et certaines violations des droits humains (le mariage des enfants, les mutilations génitales féminines/excision, les violences faites aux femmes, etc.).

Mais pour ce qui concerne la pandémie à Coronavirus ou la Covid-19, c’est un déclic. Tous les artistes tchadiens se sont sentis interpellés et se sont mobilisés promptement, que ce soit individuellement ou par groupe, à lutter à leur manière en utilisant les canaux de leurs corporations et styles pour contribuer à la sensibilisation dans les différents dialectes. D’autres artistes offrent gracieusement des masques et des dispositifs de lavage de mains aux personnes vulnérables. Cet engagement est volontaire sans l’aval des Ministères de la Culture, de la Communication, de la Santé Publique, ni de l’organe en charge de la lutte contre le coronavirus. C’est ainsi le rôle caritatif et la responsabilité sociale de l’artiste.

TC : Quelle appréciation (évaluation) faites-vous de ces différentes contributions des artistes ?

DND : Les œuvres artistiques créées pour lutter contre la covid-19 sont diffusées à longueur de journée sur les ondes des radios et sur les réseaux sociaux ; elles sont utilisées pour illustrer les spots de sensibilisation et agrémenter les discours politiques. Les artistes ont fait ce qui est à leur limite. La densité de l’effort fourni est proportionnelle à leur capacité. D’autres actions ne pourront s’effectuer que s’ils ont des moyens, mais hélas. Si la Cellule de Veille et de Sécurité Sanitaire les avait associés véritablement à la sensibilisation en leur donnant des moyens nécessaires, l’on n’arriverait pas à cette montée numérique vertigineuse et ahurissante des cas de contamination. La courbe de propagation aurait baissé.

TC : De quels apports ou appuis institutionnels les artistes bénéficient-ils dans le cadre de cette sensibilisation de la population ?

DND : Les artistes ont généralement fait un travail bénévole. Néanmoins, d’autres ont bénéficié de l’appui des partenaires de l’Etat tels que l’OMS, l’UNICEF, le PNUD, etc. pour avoir des matériels nécessaires à offrir ou soit de financement pour l’enregistrement des clips vidéos et quelques supports audio.

TC : Comment appréciez-vous la gestion de cette pandémie par les autorités tchadiennes ?

DND : Il faut faire la différence entre la « colère de Boma » et la lutte contre le Coronavirus. Les autorités tchadiennes mettent la force devant toutes les actions concrètes de la gestion de la crise de la covid-19. A peine ont-énuméré et communiqué les mesures à appliquer, qu’elles ont envoyé les forces de l’ordre créer le désordre au sein des populations sans que celles-ci soient suffisamment sensibilisées. La Cellule de Veille et de la Sécurité Sanitaire créée par l’Etat pour faire face à la crise sanitaire n’a pas associé l’Ordre des Médecins et les archétypes de communication (journalistes, animateurs-producteurs, les artistes, les religieux, etc.) à la gestion de la pandémie. J’ai appris comme tout autre Tchadien qu’il y a 15 milliards mis en place par l’Etat et des centaines de millions offerts par certaines institutions de la place pour faire face à cette pandémie mais la gestion est chaotique. On attend la gestion du Comité de Gestion de la Crise Sanitaire piloté par le Président de la République.

TC : Qu’est-ce qui, à votre avis, a manqué dans le mode de gestion de cette pandémie par les autorités tchadiennes ?

DND : On aurait dû placer à la tête des commissions spécialisées des hommes qu’il faut et mettre à leur disposition les moyens nécessaires et la Cellule de Veille et de la Sécurité Sanitaire ne se contentera que du suivi et évaluation. Nos frontières ne sont pas équipées des dispositifs de contrôle sanitaire et sont mal contrôlées laissant s’infiltrer des personnes suspectes. Les populations sont très mal sensibilisées en lieu et place des répressions ; les lois se multiplient sans des mesures d’accompagnement, les mesures barrières sont respectées par une faible proportion de populations et piétinées par les forces de l’ordre et de la sécurité et les plus hauts responsables. Les populations démunies confinées meurent plus de faim que de Covid-19. Dans les localités environnantes de N’djaména, tout se passe comme s’il n’y a rien, les marchés hebdomadaires fonctionnent normalement. On note aussi la non-collaboration avec les artistes et les spécialistes de la santé. L’on ne sent pas l’impact du fond alloué à la lutte contre la Covid-19. Trop de ratés dans la gestion.

TC : Un plan d’actions a été élaboré à la demande du ministère de la Culture par le CONAT et remis à ce ministère pour appuyer les artistes dans la sensibilisation. Quel commentaire faites-vous de cette démarche ?

DND : C’est ce qui devrait être fait dès l’annonce de l’avènement du Coronavirus au Tchad en mars dernier. Dans nos sociétés traditionnelles, ce sont aux artistes (griots ou crieurs publics) que l’on confie les messages à annoncer. En dehors des chansons et spots réalisés par les artistes pour lutter contre la Covid-19, d’autres plans sont « arsenalisés » et couvés faute de moyens. Mais si déjà le Ministère de la Culture pense à recevoir nos plans à travers le CONAT, pour les appuyer, je crois qu’on évolue vers l’éradication de cette pandémie au Tchad

TC : Un Comité de Gestion de la Crise Sanitaire a été créé en lieu et place de la Cellule de Veille et de Sécurité Sanitaire. Comment entendez-vous collaborer avec cette nouvelle structure pour mieux faire avancer la cause de la lutte contre la Covid-19 ?

DND : Diffuser les chansons et les spots sur les ondes des radios ne suffit pas. Les artistes ont d’autres stratégies de sensibilisation de lutte contre le Coronavirus, mais celles-ci nécessitent des moyens financiers. Par le passé, beaucoup de projets des artistes ont été déposés à la Cellule de Veille et de la Sécurité Sanitaire mais n’ont pas agréé l’engouement de ladite cellule. Nous espérons qu’avec l’avènement du Comité de Gestion de la Crise sanitaire dirigé par  le Président de la République lui-même, les projets artistiques seront validés et espérons aussi qu’il fera appel aux artistes pour collaborer et mener une lutte à la manière de « colère de Boma » pour stopper la courbe évolutive de Covid-19.

TC : Quels rapports les artistes entretiennent-ils avec la presse en général dans le cadre de cette mobilisation contre la Covid-19 et quelle appréciation en faites-vous ?

DND : Il y a une synergie interdépendante et professionnelle entre la presse et les artistes. Sans la presse, nos œuvres de sensibilisation et nos voix ne porteront pas loin. S’il y a une structure à couronner pendant cette crise « coronavirusique », c’est la presse d’une manière générale.

TC : Quel message avez-vous à l’endroit de la population ?

DND : Si la Chine arrive aujourd’hui à circonscrire la pandémie du Coronavirus qui a pris sa source chez elle à Wuhan en décembre 2019, c’est simplement par un comportement civique responsable. Je conseillerai aux populations tchadiennes de faire autant. L’application stricte et rigoureuse des mesures barrières fera chuter la courbe de la Covid-19. Tous ensemble :

Evitons les promenades inutiles, restons chez nous ;

Evitons les attroupements de masse, prenons la distance de plus d’un mètre lors des conversations ;

Lavons-nous les mains avec de l’eau propre et du savon ou utilisons le gel hydroalcoolique pour désinfecter nos mains,

Toussons et éternuons au creux des coudes,

Portons nos masques si nous sortons,

Evitons les salutations traditionnelles qui consistent à nous serrer les mains.

Appelons le numéro vert 13-13 gratuit en cas de fièvre, toux, éternuement et respiration inhabituelle.

 

Interview réalisée par Nestor H. Malo

TC n°388, juin 2020

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Nestor HINYANDIGUIM MALO

Nestor HINYANDIGUIM MALO

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