Ecrire sans travestir, Informer sans manipuler, Analyser sans préjugés

194 partis politiques au Tchad : A quoi servent toutes ces formations ?

Après un quart de multipartisme ayant succédé à une trentaine d’années de monolithisme politique, l’on dénombre 194 partis politiques au Tchad. Ce foisonnement est-il un indicateur de la vitalité démocratique ou une foire aux plaisantins ?

A partir des années 1990, de nombreux partis ont été créés à la faveur de l’ouverture démocratique. Certains continuent leur bonhomme de chemin, d’autres se sont dissouts ou ont fusionné carrément avec d’autres. D’après les données de l’étude menée par le Comité d’Appel à la Paix et à la Réconciliation Nationale (CSAPR) intitulée « Les partis politiques tchadiens, quelle démocratie pour quelle paix ? », ce sont 155 formations ou regroupements de partis politiques qui ont présenté 1405 candidats aux législatives de 2011. Selon des sources proches de la Direction des affaires politiques et de l’Etat civil, en date du 17 août 2016, on dénombre 194 partis politiques régulièrement reconnus au ministère de l’Administration du territoire. Et le compteur n’est pas encore bloqué. Mais au fait, quelle est la valeur ajoutée de ces multiples partis dont l’on dirait qu’ils se créent à la pelle ?

Majorité-opposition, une frontière poreuse au Tchad

La multiplicité des partis politiques est, certes, un indicateur de l’ancrage démocratique dans un pays. Mais cette pléthore peut biaiser le débat politique. Dans les démocraties avancées, les états-majors politiques se résument à deux ou trois courants majeurs : droite/gauche, conservateur/progressiste, centriste, pour ne citer que ceux-là. « Chez nous, la plupart de ces partis politiques sont des cellules d’accompagnement ou satellites du parti au pouvoir », commente un observateur de la scène politique tchadienne.

Actuellement, le microcosme politique tchadien peut être est scindé en deux : majorité présidentielle et opposition démocratique. Jusqu’à un passé récent, les politico-militaires jouaient un grand rôle dans le débat politique. Mais « la frontière entre ces deux catégories est à la fois mouvante et poreuse, et varie en fonction des stratégies d’alliances de chaque camp (…) », relativise le CSAPR. La plupart des grands leaders de l’opposition actuels ont occupé de hauts postes de responsabilité dans le régime d’Idriss Deby Itno : Saleh Kebzabo, l’actuel chef de file de l’opposition, a été ministre d’Etat dans le cadre de la Démocratie Consensuelle et Participative (DCP) en 1997, Kassiré Delwa Kassiré et Djimrangar Dadnadji ont été Premiers ministres. Le Front de l’Opposition pour l’Alternance et le Changement (FONAC) et d’autres regroupements se revendiquant de l’opposition volent en éclats au profit du parti au pouvoir.

Pourtant, la loi n°019/PR/2009 du 8 août 2009 portant Charte des Partis Politiques en son article 2 définit le parti politique comme étant « une association à but non lucratif dans laquelle des citoyens tchadiens se regroupent autour d’un projet de société et d’un programme politique ». L’article 3 est très explicite sur leur but : « Les partis politiques concourent à l’expression du suffrage universel et participent à la vie politique de la nation (…) ». De ces articles, quelques termes caractéristiques clés retiennent l’attention : projet de société, programme politique, conquête et exercice du pouvoir.

Accéder aux délices du pouvoir au lieu de conquérir le pouvoir

L’expérience a montré qu’au lieu de chercher à conquérir le pouvoir, certains leaders politiques créent des partis pour se positionner à l’approche des grandes échéances et, le cas échéant, de lorgner les subventions de l’Etat. Conquérir le pouvoir pour eux revient à adhérer à la majorité présidentielle. En 2010, la Coordination de la Majorité Présidentielle (CMP) qui a été mise en place par le MPS et une soixantaine de partis politiques avait pour objectif de « défendre le programme politique du président de la République, de veiller sur les intérêts de la majorité présidentielle, et de définir les stratégies les mieux adaptées pour garantir une victoire à la majorité présidentielle lors des prochaines consultations électorales ». Mais aux élections législatives de février 2011, certains partis alliés au MPS ont révélé l’absence de poids politique. Les résultats ont crédité le Mouvement Patriotique du Salut (MPS), de 117 sièges sur 188. L’Union Nationale pour le Développement et le Renouveau (UNDR), première force politique de l’opposition, est arrivée en deuxième position avec dix sièges. Les 61 sièges restants ont été répartis entre les autres partis en lice. Ainsi, seuls 30 partis disposent d’au moins un siège à l’Assemblée Nationale.

Pour mesurer le niveau de fonctionnalité ou de viabilité d’un parti politique, il existe des critères objectifs tels que la présence sur le terrain, la base militante, l’alternance dans les instances dirigeantes, les modes de financement, mais aussi l’idéologie.

La plupart des partis politiques sont organisés plus ou moins de la même façon, selon une structure déconcentrée dans laquelle le siège et les organes nationaux (Bureau National, Assemblée Générale, Congrès etc.) sont pour la plupart implantés à N’Djaména. Le MPS, à la faveur des vingt-cinq ans de règne, pourrait se targuer de représentativité dans les 23 régions, même si c’est à des degrés variables. Certains partis pourraient être qualifiés de « régionaux » voire « ethniques », non pas par manque d’ambitions, mais surtout par faute de moyens et parfois de stratégies. Dans les échanges, il est courant d’entendre certains leaders revendiquer le «caractère national» de leur parti, l’on pourrait interpréter cela comme une « ambition » nationale plutôt qu’une implantation nationale. Toutefois, au regard des résultats de la présidentielle d’avril 2016, certains leaders de l’opposition ont montré clairement leur capacité à ratisser large sur des territoires qui leur étaient jadis inaccessibles, prenant de plus en plus une envergure nationale.

La nécessité d’assainir le milieu des partis politiques

En plus de la question de l’ancrage national, quelle est la base militante de chacun des 194 partis politiques ? Combien d’adhérents ont-ils aussi bien dans la capitale que dans l’arrière-pays. Quel est le degré de dynamisme de chacun de ces militants ? Combien paient-ils leurs cotisations ?

En outre, l’idéologie incarnée par chaque parti constitue son identité parmi les courants politiques contemporains : social-démocratie, fédéralisme, écologie, communisme, socialisme, libéralisme… Bref, la liste n’est pas exhaustive. Si certains partis se démarquent clairement de l’idéologie défendue, ce n’est sûrement pas le cas des autres. Il est courant d’entendre certains chefs de partis politiques dire pendant leur discours de ralliement : « Nous sommes convaincus que notre programme politique correspond point pour point avec celui du parti au pouvoir ; voilà pourquoi nous lui faisons confiance ». Le bon sens aurait voulu qu’avant de créer son parti politique, l’on parcoure les programmes politiques et les projets de société des forces politiques existantes. S’il s’avère qu’il y a une convergence de vues avec un parti déjà existant, à quoi bon de créer le sien, sans une valeur ajoutée ? C’est ce qui pousse certaines personnes à qualifier ces leaders de politicards qui ne mettent au devant que leurs intérêts bassement matériels, et ce, en se livrant à toutes les formes de compromissions. Un homme politique tchadien ne disait-il pas que « la force de l’homme se trouve dans la marmite » ?

Face à ce constat, ne faudrait-il pas repenser la loi n°019/PR/2009 du 8 août 2009 portant Charte des Partis Politiques pour assainir le milieu ? On pourrait y intégrer des dispositions novatrices plus contraignantes pour avoir au finish des partis politiques, véritables laboratoires d’idées desquels pourront émerger l’élite de demain. Ne pourrait-on pas par exemple conditionner la survie d’un parti politique par sa performance (représentativité) aux élections législatives, communales ou locales ? Ce qui reviendrait par exemple à ne conserver – pour le cas présent – que les trente partis ayant obtenu au moins un siège à l’hémicycle.

Mbaidedji Ndjenodji Frédéric

TC n°350, Octobre 2016

Share on facebook
Facebook
Share on twitter
Twitter
Share on linkedin
LinkedIn
Par : Boutros

Par : Boutros

Laisser un commentaire